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Les Cénobites, précédé de Le bidet, autobiographie collective d’une génération
EAN13
9782814501072
Éditeur
PublieNet
Date de publication
Collection
Grèce
Langue
français
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Les Cénobites, précédé de Le bidet

autobiographie collective d’une génération

PublieNet

Grèce

Livre numérique

  • Aide EAN13 : 9782814501072
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Hàkkas en aura bavé toute sa vie. Né en 1931 dans une famille pauvre, il
grandit sous l’Occupation, puis la Guerre Civile. Devenu communiste, il est
persécuté en même temps par la droite au pouvoir, qui l’envoie en prison pour
quatre ans, et par le Parti, que sa franchise indispose. Il vit de petits
boulots, représentant, artisan, consacrant tout son temps libre à
l’association culturelle qu’il a fondée avec des amis. A trente-huit ans il
attrape le cancer et meurt trois ans plus tard.

Ses écrits : quelques poèmes, trois pièces en un acte, trois recueils de
nouvelles. C’est tout. Une œuvre en miettes, comme sa vie. Des pages volées à
cette vie trop dure, puis à la mort ; les unes griffonnées en hâte sur des
paquets de cigarettes, les autres dictées sur des lits d’hôpital. Au fond, vu
les circonstances, Hàkkas n’a pas peu écrit, mais beaucoup...

Comme tout ce qu’il a laissé, Le bidet (1970) et Les cénobites (1972), ses
deux grands recueils, sont d’abord une chronique : l’histoire d’une vie, la
sienne, à peine teintée de fiction ; et en même temps, celle de sa génération.
Une autobiographie collective.

Ils étaient jeunes, idéalistes, et la plupart ont héroïquement résisté à la
répression. Vingt ans plus tard, on les retrouve embourgeoisés, avachis,
vaincus par le confort moderne. (Enfin, tout est relatif : ce que l’auteur
reproche à ses compatriotes, c’est de se faire installer... un bidet.) Triste
Grèce des années 60, encore secouée par son passé, déjà bousculée par le
futur. Le bidet, ricanant requiem pour une génération foutue, festival de
sarcasmes et de provocations diverses, en trace un portrait plein de rage,
d’humour, de féroce lucidité.

Mais Hàkkas n’est pas seulement un virtuose de la satire. Il a beau râler, sa
tendresse affleure à toutes les pages ; il n’y a qu’à l’entendre évoquer
Kessariani, le faubourg populaire d’Athènes où il passa toute sa vie, où se
déroulent ses histoires, et les petites gens qui l’habitent. Et puis Hàkkas
n’a pas l’esprit sectaire, le monde pour lui n’a pas cette allure bien carrée,
les bons ici les méchants là-bas, si rassurante pour les naïfs. Il sait voir
les pailles et les poutres dans tous les yeux — y compris dans les siens. Où
a-t-il donc appris ça, en ce temps-là ?

En plus il est maladivement honnête. Il dit tout, c’est plus fort que lui.
Voilà ce qui l’a perdu — et sauvé. Hàkkas est grand pour avoir vécu, pensé,
écrit, non comme on le lui disait, mais comme il le sentait ; pour avoir été
libre, de plus en plus. Et Dieu sait combien c’est difficile — surtout quand à
vingt ans on était à genoux devant la statue de Staline. Les livres de Hàkkas
(c’est là un de leurs points communs avec l’impressionnant Toi au moins tu es
mort avant de Chrònis Mìssios), sont l’histoire d’un homme qui peu à peu, à
travers mille épreuves, se libère des autres et de lui-même.

Mais justement, si Hàkkas est devenu un écrivain majeur, c’est que cette
liberté conquise, il sait aussi, comme Mìssios, la faire passer dans les mots.
Dès les premières nouvelles du Bidet, il a trouvé sa voix, ce ton à la fois
désinvolte et brûlant, tout en ruptures, dérapages, télescopages, bouffées de
fantastique et d’absurde... Mais c’est le cancer qui va le mener plus loin
encore.

Sans doute, la maladie n’a pas bouleversé sa trajectoire d’écrivain : en
découvrant le mal dans son corps, Hàkkas a dû y voir une confirmation, une
cristallisation en lui du mal qui l’entourait ; dans ce qui lui reste à
écrire, déchéance physique et décomposition sociale serviront de métaphore
l’une à l’autre. Le cancer a surtout joué un rôle d’accélérateur : des
derniers textes du Bidet, œuvre d’un condamné à mort, aux Cénobites écrits par
un mourant, on voit l’homme et l’écrivain mûrir à toute allure, jusqu’aux
trente pages hallucinées qui viennent clore ce volume et sa vie. Une débâcle
et une envolée, la narration qui part en tous sens, rêves, souvenirs, visions,
monologues à plusieurs voix, phrases explosées, mots qui éclatent en
assonances, en calembours — le bouquet final.

L’étonnant, c’est que malgré douleur et désespoir Hàkkas n’ait jamais cessé
d’écrire, de lutter, avec l’allègre furie de celui qui donne tout ce qu’il a.
Contrairement au Mars de Fritz Zorn, autre grand livre inspiré par le cancer —
et dont la seule lecture a de quoi le donner —, Le bidet et Les cénobites ne
sombrent pas dans la déprime. Ces pages dilatent le coeur en même temps
qu’elles le serrent ; entre angoisse de mourir et jubilation d’écrire, elles
émettent jusqu’au bout une lueur qui réchauffe, intermittente et obstinée
comme un clignotement d’étoile. Des médecins grecs les ont fait lire à leurs
patients condamnés, pour les aider à mieux mourir ; quant à nous autres, les
sursitaires, comment ne pas être fiers de lui, de cet homme seul et minuscule
dans la nuit éternelle, ce nargueur de néant, lançant jusqu’à la fin ses
fusées — si vivant jusque dans la mort ?

M.V.

— Illustration de couverture par Tàkis Sidèris
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