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Mudwoman

Joyce Carol Oates

Points

  • Conseillé par
    23 janvier 2023

    résilience

    En cherchant Fleur de boue sur mon moteur de recherche, j’ai trouvé : lotus, et j’ai trouvé cette idée magnifique.

    La Mudwoman dont il est question dans ce roman a été retrouvée dans la boue quand elle était une petite fille.

    Nous la suivons à la fois des années plus tard quand elle est présidente d’une prestigieuse université américaine, et après sa découverte abandonnée dans la boue.

    Le leitmotiv de la boue m’a un peu agacé, mais cette répétition permet de ne pas oublier d’où vient MR, alias Meredith Ruth Neukirchen.

    J’ai aimé que chaque chapitre concernant Mudwoman mette en scène un moment de sa vie de présidente où elle a un ennui : avec sa voiture au milieu de nulle part ; avec sa soupe un soir seule chez elle ; avec un étudiant manipulateur et mal dans sa peau…

    J’ai aimé que chaque chapitre concernant Mudgirl nous permette de suivre Jeweel d’abord puis Jedina après son abandon jusqu’à sa vie de jeune fille.

    J’ai aimé l’arrière-plan du début de la guerre en Irak que nous, Français, avions refusé.

    J’ai aimé les fleurs et plantes omniprésentes dans le récit, et qui survivent aux personnages.

    J’ai aimé qu’il arrive des événements imprévus à Mudwoman au point qu’elle doive revenir sur les lieux de son enfance pour enfin faire le point et refermer des pages.

    Un roman qui m’a bercé par sa langue et plu par son histoire qui ressemble, par certains aspects, à la mienne.

    Quelques citations :

    "(…) qu’à l’ère de l’Internet, à l’époque où l’emploi de la force brutale contre un quasi-ennemi était présenté à un public crédule comme un événement médiatique, baptisé Choc et Stupeur tel un blockbuster hollywoodien – l’important n’était pas ce qui s’était réellement passé, mais ce que l’on pouvait faire croire s’être passé à un nombre assez considérable de personnes."

    "Le temps terrestre est irréversible. Le temps terrestre ne s’écoule que dans une seule direction. Le temps terrestre est une façon d’empêcher que tout n’arrive en même temps."

    "Etre toujours seul, c’est penser sans interruption – votre cerveau ne débranche jamais. Il n’est pas possible de vivre en pensant continuellement."

    L’image que je retiendrai :

    celle dans la grande demeure de la présidence dans laquelle vit Mudgirl mais dont elle n’occupe que l’appartement du premier étage.

    https://alexmotamots.fr/mudwoman-joyce-carol-oates/


  • Conseillé par
    14 octobre 2015

    Un week-end avec Joyce Carol Oates

    J’avais coupé mon téléphone. Enfoui dans un coin de mon cerveau un tas de choses très urgentes, renoncé momentanément à la position verticale. Armée d’une théière isotherme et d’une paire de chaussettes de ski, en pilote automatique entre le lit et le canapé, j’ai passé un week-end avec Joyce Carol Oates. À chacun de ses livres (ici, un roman + un recueil de nouvelles) se produit le même sortilège. Je ne crois pas qu’on puisse « lire » Oates : je pense qu’elle nous happe, qu’elle nous broie. Ses livres exigent de nous que l’on se mette entre parenthèses…. mais quel délicieux assujettissement.

    « Mudwoman » raconte l’histoire de Meredith, brillante philosophe et première directrice femme d’une des plus prestigieuses universités de l’Ivy League. La quarantaine passée, célibataire (= en relation depuis vingt ans avec un homme marié), physique singulier mais intelligence remarquable, Meredith mène une carrière fulgurante. Pourtant, alors que tout semble la pousser à poursuivre son ascension, son passé vient la percuter comme un boomerang. Et il y a de quoi faire mal : âgée de trois ans à peine, Meredith a été abandonnée par sa mère aliénée mentale, qui l’a jetée dans un marécage. La petite a été retrouvée in extremis, placée dans un foyer d’accueil puis adoptée par un couple de Quakers aimants et intelligents. Toute sa vie, elle est allée de l’avant, s’efforçant d’aimer ses parents adoptifs, de réussir à l’école, de sourire en toute occasion, d’être une professeure dévouée, puis une directrice progressiste et exemplaire. Mais Meredith n’a plus la force, elle sombre et inquiète les membres de son administration : il est temps pour elle d’affronter « Mudgirl ». Le roman nous entraîne dans un sombre et fascinant va-et-vient entre les différents chapitres de son existence, entre la boue et les sommets de la gloire. Un va-et-vient qui dévoile les secrets et écorne les images, qui creuse au plus profond des souvenirs.

    Dans « Mudwoman », Oates retourne à ses sujets fétiches (à vrai dire, s’en était-elle jamais éloignée ?) : les mères dévoratrices, la violence des rapports hommes-femmes, le glissement vers la maladie mentale, et la – possibilité de – rédemption. À ses univers familiers, aussi : les ambiances feutrées des grandes universités américaines, les tensions post-11 septembre et les déchirements autour de la guerre en Irak.

    Dans [« Cher Époux »,](http://www.onlalu.com/site/ouvrages/cher-epoux-joyce-carol-oates/) le savoureux recueil de nouvelles que les Éditions Philippe Rey publient en même temps que « Mudwoman », on retrouve, éparpillé, un peu de tout cela, avec une note de violence encore plus assumée, ainsi qu’une place de premier plan pour les conflits de classes. En lisant ces nouvelles magistralement construites, à la férocité corrosive, on découvre que la reine du roman-fleuve  excelle aussi dans le très court.

    À un moment de « Mudwoman », la mère adoptive de Meredith, bibliothécaire, dit à sa fillette apeurée : « dans les livres, on est en sécurité ». On ne peut pas imaginer de meilleure définition au hold-up littéraire que renouvelle pour la énième fois la Déesse des lettres américaines. Car il y a beau être question de folie et de pulsions morbides, d’abandon maternel et d’intense solitude, avec les histoires de Joyce Carol Oates, le lecteur ne cesse jamais d’être « entre de bonnes mains ». Parce que l’écriture de Joyce Carol Oates est d’une humanité absolue. Quelle que soit l’horreur, la lumière est toujours au bout du tunnel, les personnages trouvent toujours une ressource en eux, qu’ils sont libres d’exploiter ou non, mais qui les garantit contre la facilité de la tragédie ou du manichéisme. La subtilité inouïe de Joyce Carol Oates, son génie de la psychologie, son écriture du ressassement, qui accède par d’infinies touches à toute la complexité d’un personnage, atomise le champ du romanesque. Joyce Carol Oates n’est pas seulement une immense romancière, elle est aussi la plus grande prêtresse de la liberté.

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